Voyager, on n'en revient jamais.
Ce qui suit vous est conté, madame T., ma chère, irremplaçable madame T., à vous et à nulle autre, à moins que vous ne souhaitiez qu'il en soit autrement. Je ne sais où vous serez, mais je devine déjà votre intérêt pour ces voyages, ces mots, ces aveux parfois. Peut-être vous mentirai-je un peu, mentir un peu c'est être très près de la vérité, mentir beaucoup serait m'en éloigner. Avec le temps l'espace entre deux vérités et mensonges se dissipe doucement et vous me pardonnerez si parfois j'ai repoussé cette frontière pour être au plus près de l'indicible. je soupçonne votre sourire à certains passages, votre joue légèrement froissée, appuyée sur votre main, l'autre tournant lentement les pages, sans voracité, laissant un doigt sous la précédente comme si vous alliez la relire, mais que vous abandonnez pour la suivante. Je vous espère parfois jalouse, un peu mordue par les mots, mais jamais douloureuse. Je vous aime depuis si longtemps, depuis avant le début, voyez-vous. Ces récits sont des voyages au pays des hommes. Voyager, on n'en revient jamais. Je vous écrit pour prolonger l'instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité, à l'oubli, à l'"impermanence", ceci sans succès bien sûr puisque c'est vouloir figer l'éphémère et j'aime l'éphémère, nul n'est parfait.
Cher amour ( Bernard Giraudeau )