Il a fallu cela. Cette photo pour que dans le monde entier, chacun se demande, un peu honteux, si son tee-shirt ou sa robe n’était pas fabriqués au Bangladesh. Au prix où on l’avait payé on devait bien se douter que quelque chose ne tournait pas rond, que quelque part il devait y avoir quelques chose qui avait été payé un plat de lentille pour que la "jolie petite robe de chez Zara" ne coûte pas plus chère. Mais jeter la pierre serait trop facile.
Chacun s’est racheté une conscience. Auchan, dont on a retrouvé des étiquettes dans les ruines de l’immeuble effondré de Dacca, a signé une charte internationale sur la sécurité des bâtiments, se réservant le droit d’en discuter les modalités d’application. D’autres, comme Leclerc, se retournent contre "la puissance publique", l’Etat du Bangladesh dont "c’est le travail de vérifier les permis de construire" ! "Salauds de pauvres", disait Gabin dans la Traversée de Paris. Des pauvres qui osent accepter de travailler pour rien ou presque et qui en plus n’ont pas des bâtiments aussi solides et climatisés qu’en banlieue parisienne. Pourquoi pas aux normes sismiques non plus ? On ne sait plus, en lisant de telles réactions, s’il faut parler de cynisme ou de bêtise.
Petit rappel alors. Le Bangladesh est un pays surpeuplé, où la nature a la fâcheuse tendance à détruire le peu que l’on a construit :
1970. Un cyclone fait 500 000 morts 1985.
Un raz de marée tue 4 500 personnes 1991.
Un cyclone encore, 135 000 morts 1998.
Inondations, 30 millions de personnes se retrouvent sans-abris ! 2007.
Cyclone encore, 3 300 morts
Alors oui c’est vrai, on construit un peu à la va-vite, avant que le prochain cyclone n’arrive. Cela fait longtemps que les travailleurs chinois ou indiens sont trop bien payés pour fabriquer si peu cher, alors le Bangladesh est devenu le troisième fabricant mondial de tissu. Carrefour, Benetton, Zara, Marks et Spencer, Auchan et j’en passe, tous se pressent là-bas. Le textile, c’est 4500 usines, 80% des exportations du pays. Le PIB, la richesse produite en moyenne par chaque habitant, est de 500 euros. En France, c’est 70 fois plus ! 35 000 euros… En Inde 5 fois plus, 2500 euros. Inutile de continuer, vous l’aurez compris, c’est un pays où l’on travaille beaucoup et où ce que cela rapporte reste dérisoire.
Les ouvriers se sont donc mis en grève la semaine dernière. 20 000 travailleurs du textile. Des "travailleurs-esclaves", comme les a qualifié le pape François, payés au salaire minimum : 30 euros par mois. Ils réclamaient 80 euros. Comme seule réponse, on leur a tiré dessus avec des balles en caoutchouc...