A une âme pure.
Douce Denise, chaque semaine, la plus agréable parenthèse de calme et de détente, je la trouvais chez vous. Une heure et demi de yoga, pour assouplir le corps mais aussi reposer l'âme. Je m'avançais dans ce beau jardin un peu sauvage et je garais ma voiture sous le plaqueminier, qui, lorsqu'il était orangé de fruits, offrait la beauté d'un arbre de noël.
Ces moments de partage, dans la pièce lumineuse consacrée au cours de yoga, que vous aviez aménagée à côté de votre maison ancienne, héritage familial au milieu des vignes, je m'en souviens encore avec un petit pincement de tristesse et de plaisir à la fois. Nous arrivions chacune à notre tour, j'étais bien souvent la première, et dès que nous avions déposé sacs et vêtements dans la petite cabine, nous nous installions sur l'un des trois tapis disposés dans cette salle reposante où, doucement, les conversations commençaient. Vous vous inquiétiez toujours des autres, nous questionnant sur les sujets que nous avions abordé lors du dernier cours et qui nous tenaient à cœur. Nous avions évidemment chacune nos petits problèmes et nos moments de bonheur à vous raconter, comme à une confidente. Vous, votre vie me semblait si simple, secrétaire à mi-temps dans un garage et les cours de yoga pour combler vos revenus.
Votre fille de 18 ans était étudiante et, depuis bien longtemps divorcée, vous viviez en célibataire. Je pense que vous souffriez de la solitude, pourtant vous en parliez peu. Votre gentillesse, votre sollicitude, votre douceur, auraient pourtant pu rendre un homme heureux.
Avec vous, nous étions quatre sur nos tapis, des cours presque privés, et lorsque l'une ou l'autre d'entre nous manquaient, je me retrouvais parfois seule et vous n'annuliez pas le cours pour autant. Il vous est même arrivé quelquefois de ne pas me faire payer, comme ça, sans raison, par pure gentillesse. Il y avait Evelyne, une copine infirmière qui avait bien de la chance de s'endormir lorsqu'à la fin du cours, en méditation, vous nous berciez comme une onde de paix, de vos paroles reposantes. Je l'enviais Evelyne, lorsqu'on l'entendait respirer fort, moi qui ne peut trouver le sommeil que dans le calme, et encore avec difficultés.
Et Marie, avec laquelle nous parlons encore quelquefois de vous, qui souffrait tellement du dos ! Vous lui offriez parfois les cours au ralenti, à son rythme ! Il y avait aussi Jane, mon amie de toujours, ou presque, et qui se joignait à nous lorsque la place était libre. D'autres personnes, parfois des hommes, se présentaient à vos cours particuliers si "particuliers" où tout respirait le calme et la sérénité dans cette pièce agréable aux vapeurs d'encens.
Votre voix douce nous stimulait pendant ces cours différents des autres, j'aimais me retrouver sur ce tapis où nous enchaînions les poses jusqu'au moment de la détente. Parfois on vous entendait murmurer au chat, vous lui ouvriez la porte de la baie vitrée, et vous lui demandiez de se dépêcher à rentrer pour ne pas nous déranger. Ces instants de paix, ce n'était pas grand chose, mais ils avaient la saveur d'un passage lumineux au coeur d'une lumière douce, pour un instant de plénitude dans une vie agitée.
Le meilleur, que j'attendais comme une récompense à nos efforts d'assouplissement, c'était lorsque vous nous proposiez de nous allonger pour méditer. Là, oh bonheur ! vous nous massiez, chacune à notre tour, la nuque, puis les mollets, et enfin les pieds, ce qui était pour moi le bien-être suprême !
Une ou deux fois nous nous étions retrouvées dans la pièce à côté, dans votre salon, pour apprécier ensemble une galette des rois ou boire un thé.
Puis ma vie amoureuse m'a éloignée de ces cours. J'ai bien essayé de continuer une ou deux fois, lorsque je venais rendre visite a mes amis. La distance a finalement eu le dessus, et je ne vous ai plus revue ensuite qu'une seule fois. Vous n'étiez pas une amie intime, juste une personne que j'aimais beaucoup, une femme toute simple mais pour laquelle j'avais une grande estime.
Le jour de notre dernière rencontre, je me souviens, vous m'aviez demandé avec une pointe de tristesse, comment j'avais fait pour rencontrer celui avec lequel je partageais ma vie d'alors, vous auriez bien aimé, m'aviez-vous confié, vous aussi, refaire votre vie. Je ne sais plus ce que j'ai répondu, sans doute qu'il y avait beaucoup d'homme bien et qu'il fallait faire confiance à la vie qui nous apporte souvent, sans qu'on l'ait cherché, ce qui nous convient, pour peu qu'on soit prêt à ouvrir son cœur.
Je pense que vous étiez intimidée par les hommes, trop sensible peut-être, ou mauvais souvenir de ce mariage avec cet homme qui avait tant changé et qui était devenu si gros, me disiez-vous avec regret ! Menue et jolie comme vous l'étiez, avec votre coupe au carré un peu classique mais qui correspondait à votre nature, et si fine, si douce, si calme, celui qui vous aurait accepté dans sa vie n'aurait pas eu, j'en suis sure, à le regretter.
Un an après mon départ, mon amie Marie m'a annoncé que vous aviez un cancer, celui dont on ne guérit pas, un comble pour vous qui ne fumiez pas, ne buviez pas non plus et vous nourrissiez sainement et équilibré ! J'ai pensé alors que les douleurs du dos dont vous vous plaigniez au début des cours lorsqu'on discutait toutes ensemble, et dont on n'avait pu diagnostiquer la cause, avaient sans doute un rapport avec cette maladie dont l'issue est fatale. Marie m'a dit que vous ne vouliez voir personne et j'abandonnais l'idée de vous rendre visite pour respecter votre volonté. Et puis que dire ? Vous aviez refusé la médecine lourde traditionnelle, chimio etc, préférant confier votre vie aux traitements plus naturels. L'un ou l'autre ne faisant pas grande différence lorsque le mal est incurable, vous y avez peut-être gagné, ou perdu, quelques mois ? Je vous remercie de ne pas avoir choisi de nous revoir, quel dilemme pour nous si nous avions eu à vous donner des conseils !
Vous vous êtes éteinte, douce et chaleureuse flamme, comme l'était votre vie, silencieusement et simplement, sans faire de vagues. Vous aviez 51 ans, votre fille Aude 20 ans...
Le plaqueminier, arbre magique, s'il en est, arbre de Noël apprécié pour ses offrandes dans bien des parties du monde, découvert depuis peu par chez nous, en France, le plaquemine offre ses fruits, le kaki, avec force et assurance sereine aux yeux des passants, des rêveurs et amoureux des merveilles de la nature.