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13 février 2012

C'est si rare, un sourire qui s'adresse à moi, une petite étoile dans la nuit de la zone.

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Nuit après nuit, trouver un abri est un vrai casse-tête. La grosse Lola le sait. Quand je l'ai croisée, l'autre jour, elle pleurait. Stalingrad blues. Elle avait les yeux beurrés, elle geignait, elle avait mal aux côtes. La pauvre était allée dormir sur l'avant-pont d'une péniche désarmée, un peu en amont du pont Alexandre-III.

La péniche appartient à un acteur connu, un comique qui a oublié le sens de l'humour. Il l'a rouée de coups de pied, lui a cassé les côtes. Il aurait pu lui dire, tout simplement : "Madame, vous êtes ici chez moi. Allez jouer plus loin. " Mais non. L'animal (dont je tairai le nom), qui avait dû avoir une contrariété dans la journée, s'est acharné sur cette pauvre fille endormie, de fatigue, d'alcool, de solitude et d'horizons bouchés. Un artiste, ça ? Pauvre con ! Et pauvre Lola, qui ne sait jamais où dormir ! Tous les soirs, c'est la même rengaine "Je voudrais un coin tranquille, un coin chaud, un coin où j'aie pas peur."

La grosse Lola rêve, la grosse Lola demande l'impossible. Dans la zone, un coin tranquille, chaud et sécurisant, cela n'existe pas. La rue offre ses trottoirs, ses halls d'immeuble, ses coins et recoins, ses niches insoupçonnées, mais elle ne vous épargne rien de sa dureté. Dieu est souvent absent. Le soir, il prend ses vacances sans doute. Combien de fois me suis-je trouvé, en pleine nuit, livré au macadam, sous une pluie glaçante ou dans le vent tourbillonnant. Et je restais là, ne sachant où aller...

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L'année dernière, plusieurs soirs de suite, j'ai trouvé refuge dans la voiture d'un toubib. Il ne fermait pas à clé. Des passants m'ont dénoncé aux flics. Je me suis retrouvé au commissariat, accusé, en plus, d'avoir volé un carnet d'ordonnances. Dans mon sommeil agité, j'avais déplacé les papiers qui étaient sur le tableau de bord. Les flics on convoqué le toubib pour qu'il porte plainte. Il a refusé.

- Ce n'est pas la peine. Ce gars a raté son train. C'est pour ça qu'il a dormi dans ma voiture.

Les flics ont insisté.

- Vous ne déposez pas plainte ? Vous êtes sûr ?

- Oui, j'en suis sûr, j'ai autre chose à faire. Et il est parti...

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Dans la zone, on trouve toujours une main tendue. Même si elle se fait parfois attendre. Malgré ma méfiance à l'égard de l'humanité entière, je constate qu'il y a des coeurs généreux, attentifs, il suffit d'être correct et poli. Inutile d'espérer grand chose en braillant et en se baladant avec une bouteille au bout du bras, en cassant et en salissant tout ce qu'on approche... Je connais les jours de marché de certains quartiers. Ces jours-là, je suis sûr d'avoir quelque nourriture, un saucisson, une banane, un morceau de fromage, du pain... De temps en temps, place Toudouze, le patron d'un restaurant indien m'apporte une canette de bière et un plat de riz avec du poulet. La patronne d'un restaurant chinois du même quartier, elle aussi, pense souvent à moi. Elle traverse la rue pour m'apporter un plat de riz avec des champignons ou des pâtes au soja. Chaque fois, elle me gratifie d'un sourire. C'est si rare, un sourire qui s'adresse à moi, une petite étoile dans la nuit de la zone.

Dans ce paysage noir de la rue, comme ce sourire, d'autres petites étoiles s'allument parfois. Je m'éveille et, à la tête de mon duvet, je trouve un pain d'épice ou un morceau de cake, dons anonymes. Un jour, je me sentais tellement en manque de tabac que, mettant ma honte et ma répugnance de côté, je me suis baissé pour ramasser un mégot. Aussitôt, une jeune femme s'est précipitée "Monsieur, ne fumez pas ça, je vous donne mon paquet. J'en ai un autre dans mon sac."

L'année dernière, j'ai pris un train pour Rouen et m'y suis endormi. Une fois arrivé au terminus, il faisait nuit noire et un froid de gueux. Je n'avais pas d'argent. Le chef de station m'a installé un lit de camp dans la salle d'attente. Il m'a donné des couvertures, a laissé le chauffage, habituellement coupé la nuit, et m'a offert un café et un petit verre de calvados. Le lendemain, quand j'ai ouvert les yeux, je ne savais plus où j'étais. C'est en voyant les gens se presser pour attraper le train que j'ai peu à peu réalisé. "Vous avez l'air vraiment fatigué, m'a dit le chef de station. Restez un moment. " Et il m'a tendu une tasse de café. C'était un vieux bonhomme, un bonhomme formidable. Un bonhomme rare...

Je me souviens aussi d'un terrible matin d'hiver. J'avais passé la nuit dehors, sous un porche. J'avais si froid, à mon réveil, que je ne me décidais pas à sortir la tête de mon duvet. Quand j'ai enfin mis le nez dehors, j'ai vu une dame qui tenait dans ses mains une cafetière chauffante et des croissants chauds. Elle était venue jusqu'à moi et attendait mon réveil, elle ne voulait pas me déranger. Quand elle s'est éloignée, j'ai commencé à rouler mon duvet pour reprendre mon errance indécise. La dame avait oublié de l'argent sous la tête de mon duvet, afin que personne ne me le vole.

Ces quelques étoiles brillent plus fort pour moi que Venus soi-même. Quand on a choisi son itinéraire en fonction des courants d'air, quand on serre, en vain, son manteau contre soi, de petits gestes comme ceux-là se gravent éternellement dans la mémoire. Ils réconcilient avec l'humanité et me font penser à Brassens qui chantait :"Alors j'ai vu qu'il y avait du monde, du beau monde sur terre, et j'ai pleuré, mon cul par terre toutes les larmes de mon corps."

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Le cachalot, mémoire d'un SDF (Yves le Roux Daniel Lederman) 1998

Une licence d'allemand, l'enseignement pendant deux ans, puis des traductions... Une vie comme tout le monde... Vers la quarantaine, il rencontre une jeune femme, Élise. C'est l'amour fou, l'amour passion. Il y investit sa vie. Un matin, il part voir un ami en province. Le soir, Élise n'est plus là. Yves sombre alors dans l'alcool, "pour ne rien voir, ne plus rien savoir." La dérive commence... huit années dans la rue.

Brassens la chanson de l'Auvergnat :

 

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Commentaires
B
Tu exagères beaucoup Maryvette, la bonté c'est facile lorsqu'on a du cœur et la vie (relativement) facile...
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