Un insecticide vietnamien très épicé
Pour protéger leurs cultures contre les parasites, des paysans du centre du pays utilisent un cocktail efficace d’ail, de piment et de gingembre.
13.01.2011 | Bùi Ngoc Long | Thanh Niên
Depuis près de deux ans, les paysans du hameau de Khe Su
(village de Lôc Tri, district de Phu Lôc, province de Thua Thiên-Huê)
appliquent une méthode d’éradication des parasites tout à fait
originale. Ils utilisent en effet du piment, de l’ail, de l’oignon, du
gingembre, entre autres, pour fabriquer un produit contre les insectes
qui s’attaquent aux cultures.
Pour que nous puissions nous en rendre compte de nos propres yeux, Pham
Van Biên, un agriculteur du hameau, va chercher dans sa cuisine une
poignée de piments, d’ail, d’oignons frais et autres légumes. Il met
tous les végétaux dans un mortier, les réduit en poudre, y ajoute de
l’eau et une décoction de son et de riz dans des proportions conformes à
une formule préétablie. Il verse ensuite le mélange dans un
pulvérisateur, puis en asperge les champs de liserons d’eau (Ipomoea
aquatica), de rau dên (une espèce d’amarante), de gombos et
d’aubergines. Selon Pham Van Biên, depuis qu’il utilise cette
préparation, ses cultures maraîchères n’ont plus jamais la visite d’un
seul parasite.
“Ce n’est pas nous qui avons inventé cet insecticide, explique Cao
Thanh, un autre paysan, mais Pr Lê Dinh Huong, de l’université
d’agriculture et de sylviculture de Huê, et des cadres du projet de la
Jica [Japan International Cooperation Agency, l’Agence japonaise de
coopération internationale]. Ils sont venus nous donner une formation et
nous guider. Ils avaient vu que, pour travailler la terre, cultiver nos
champs, soigner nos cultures, nous étions obligés de nous servir de
beaucoup de produits chimiques nocifs pour combattre les parasites.
Maintenant, on sait comment fabriquer des engrais et des pesticides à
partir de fruits et légumes naturels, à la fois non polluants pour
l’environnement et non toxiques pour les consommateurs. C’est vraiment
formidable.”
Cao Thanh ne s’est pas contenté d’utiliser les engrais et les
insecticides à base de produits 100 % naturels ainsi obtenus pour
traiter ses cultures potagères. Il a audacieusement réservé une parcelle
de près de 500 mètres carrés à une expérience de culture de riz
biologique, qui s’est révélée plus que concluante. A la dernière
récolte, le rendement y est en effet aussi élevé que sur le reste de ses
rizières, qui avaient été traitées avec des engrais et des pesticides
chimiques. Qui plus est, la qualité du riz cultivé dans le champ
expérimental est nettement supérieure et son grain particulièrement
beau. “L’année prochaine, je vais généraliser cette méthode de culture à
la totalité de mes terres”, annonce avec confiance Cao Thanh.
Les paysans de Khe Su fabriquent aussi des engrais et des pesticides
naturels à partir du vinaigre de charbon et des graines de neem (un
arbre exotique également appelé margousier, Azadirachta indica A. Juss),
selon un procédé que leur a présenté Shugo Hama, un spécialiste de
l’agriculture biologique de l’université d’agriculture et de technologie
de Tokyo. M. Shugo Hama a passé des années à étudier les techniques
traditionnellement employées dans les campagnes de son pays, avant d’en
faire la synthèse pour les diffuser auprès des paysans du Vietnam, dans
le cadre de projets en faveur de l’agriculture engagés par la Jica. Il
s’agit d’apporter une assistance technique, de conseiller et d’enseigner
des techniques de production sans danger pour l’environnement et les
consommateurs. Grâce à ces programmes, les agriculteurs de Khe Su ont
appris le procédé de compostage par fermentation microbienne pour
transformer balles de paddy, paille, branchages et feuillages en engrais
naturels. Désormais, ils savent aussi brûler du charbon pour en
extraire un vinaigre qui, une fois mélangé aux graines de neem, donne un
insecticide efficace. Le Pr Lê Dinh Huong s’est joint à l’action de la
Jica à Khe Su. “A vrai dire, commente-t-il, l’idée d’utiliser des
pesticides d’origine végétale n’est pas nouvelle. D’autres pays ont
adopté ces méthodes depuis longtemps déjà. Mais on a tellement eu
recours aux produits chimiques pour assurer un développement aussi
rapide que rentable de l’agriculture qu’on a progressivement oublié les
techniques traditionnelles. Cependant, les effets nocifs sur la santé
humaine des résidus chimiques contenus dans les aliments ont été
amplement démontrés, suscitant aujourd’hui de vives inquiétudes. C’est
pourquoi on observe maintenant un retour à des méthodes de production
traditionnelles, éprouvées dans le temps, saines et non polluantes.”
Selon Nguyen Tam, chef du hameau de Khe Su, si l’on veut que ce projet
de cultures biologiques se développe largement dans le pays, il faut
qu’il entre dans le cadre d’une politique globale de l’Etat. En
l’absence d’un soutien des pouvoirs publics, les paysans resteront
obnubilés par la perspective de profits plus élevés et plus rapides
procurés par les engrais et les pesticides chimiques.