Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
bichaublog
bichaublog
Newsletter
44 abonnés
28 septembre 2010

Si un enfant qui naît, c'est un miracle, un enfant handicapé, c'est un miracle à l'envers.

3198141151_b6c474a4bc

Quand on regarde un nouveau-né, on est admiratif. Comme c'est bien fait. On regarde ses mains, on compte ses doigts minuscules, on s'aperçoit qu'il y en a cinq à chaque main, même chose pour les pieds, on est sidéré, pas quatre, pas six, non juste cinq. C'est chaque fois un miracle. Et je ne parle pas de l'intérieur, encore plus compliqué.
faire un enfant, c'est un risque à courir... On ne gagne pas à tous les coups. Pourtant, on continue à en faire.
Chaque seconde sur Terre, une femme met un enfant au monde... Il faut absolument la retrouver et lui dire qu'elle arrête, a ajouté l'humoriste.

Si un enfant qui naît, c'est un miracle, un enfant handicapé, c'est un miracle à l'envers.

**********************************************************************************

bagneres_deux_libellules

C'est bientôt Noël, je suis chez le marchand de jouets. Un vendeur veut absolument s'occuper de moi, alors que je ne lui demande rien.
" c'est pour des enfants de quel âge ? "
Imprudemment, j'ai répondu. Mathieu à onze ans et Thomas neuf ans.
Pour Mathieu le vendeur m'a proposé des jeux scientifiques. Je me souviens d'un coffret permettant de construire soi-même un récepteur de radio, il y avait dedans un fer à souder et plein de fils électriques. Et pour Thomas, une carte de France en puzzle, avec tous les départements et les noms des villes découpés, qu'il fallait placer. Un moment, j'ai imaginé un poste de radio assemblé par Mathieu et une carte de France composée par Thomas, avec Strasbourg au bord de la Méditerranée, Brest en Auvergne et Marseille dans les Ardennes. Il m'a proposé aussi le Petit Chimiste, qui permet de faire des expériences à domicile, des feux et des explosions de toutes les couleurs. Pourquoi pas le petit Kamikaze avec la ceinture d'explosifs pour régler définitivement le problème...
J'ai écouté les explications du vendeur avec beaucoup de patience, je l'ai remercié, puis je me suis décidé. J'ai pris, comme chaque année, une petite boite de cubes pour Mathieu et des petites voitures pour Thomas. le vendeur n'a pas compris, il a fait deux paquets-cadeaux, sans rien dire. Il m'a regardé partir avec mes deux paquets. J'ai vu en sortant qu'il faisait un geste à son collègue, il pointait son doigt sur le front, l'air de dire : " Il est toc-toc... "

**********************************************************************************

457515messanges_jpg

Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi chercher Thomas dans son établissement. Il n'avait pas beaucoup envie, j'ai insisté.

Comme tous les nouveaux venus, il a été assailli d'enfants titubant et bavant, pas toujours très ragoûtants, qui l'ont embrassé. Lui qui supportait difficilement ses semblables et était souvent réservé devant les manifestations exubérantes de ses groupies, il s'est laissé faire de bonne grâce.

Cette visite l'a beaucoup remué. Il a eu envie d'y retourner. Il était fasciné par ce monde étrange où des enfants de vingt ans couvrent de baisers leur ours en peluche, viennent vous prendre la main ou menacent de vous couper en deux avec des ciseaux.

Lui qui adorait l'absurde, il avait trouvé des maîtres.

**********************************************************************************

CRW_5953_RJ

Le pauvre Mathieu ne voyait pas bien clair, il avait des os fragiles, les pieds tordus, il est devenu très vite bossu, il avait les cheveux hirsutes, il n'était pas beau, et surtout il était triste. C'était difficile de le faire rire, il répétait comme une mélopée : " Ah là, là, Mathieu... Ah, là, là, Mathieu..." Parfois, il avait des crises de larmes déchirantes, comme s'il souffrait atrocement de ne rien pouvoir nous dire. On a toujours eu l'impression qu'il se rendait compte de son état. Il devait penser : " Si j'avais su, je ne serais pas venu."

On aurait bien voulu le défendre contre le sort qui s'était acharné sur lui. Le plus terrible, c'est qu'on ne pouvait rien. On ne pouvait même pas le consoler, lui dire qu'on l'aimait comme il était, on nous avait dit qu'il était sourd.

Quand je pense que je suis l'auteur de ses jours terribles qu'il a passé sur Terre, que c'est moi qui l'ai fait venir, j'ai envie de lui demander pardon.

 

**********************************************************************************

faune_rouge_gorge

A sa naissance, Thomas a eu un très beau cadeau, une timbale, une assiette et une cuiller à bouillie en argent. Il y a des petites coquilles Saint-Jacques en relief sur le manche de la cuiller et autour de l'assiette. C'est son parrain qui les lui a offertes, le président-directeur général d'une banque, qui était l'un de nos amis proches.

Quand Thomas a grandi et que, rapidement, son handicap s'est révélé, il n'a plus jamais reçu de cadeau de son parrain.

S'il avait été normal, certainement qu'après il aurait eu un beau stylo avec une plume en or, puis une raquette de tennis, un appareil photo... Mais comme il n'était pas dans la norme, il n'avait plus le droit à rien. On ne peut pas en vouloir à son parrain, c'est normal. Il s'est dit : "La nature ne lui a pas fait de cadeau, il n'y a pas de raison que moi je lui en fasse." De toute façon, il n'aurait pas su quoi en faire.

J'ai encore l'assiette à bouillie, je m'en sers comme cendrier. Thomas et Mathieu, eux, ne fument pas, ils ne sauraient pas, ils se droguent. Chaque jour, on leur donne des tranquillisants pour les faire tenir tranquilles.

********************************************************************************

mesange02

Mathieu est de plus en plus voûté. Les kinés, le corset en métal, rien n'y fait. A quinze ans, il a la silhouette d'un vieux paysan qui a passé sa vie à bêcher la terre. Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut même plus voir le ciel.

Un moment, j'ai imaginé fixer sur le bout de ses chaussures des petits miroirs, comme des rétroviseurs qui refléteraient le ciel...

Sa scoliose a augmenté, elle va bientôt provoquer des ennuis respiratoires. Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée.

Elle a été tentée, il est totalement redressé. Trois jours plus tard, il meurt droit.

Finalement, l'opération qui devait lui permettre de voir le ciel a réussi.

 

**********************************************************************************

famille_oiseaux

Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste. C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.

Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu sur faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.

De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire.

**********************************************************************************

oizo3

Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés. Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux.

De leurs manteaux bleu marine courts sortaient des petites cannes de serin. Je me souviens aussi, quand on les lavait, de leur peau transparent et mauve, celle des oisillons avant que les plumes poussent, de leur bréchet proéminent, de leur torse plein de côtes. Leur cervelle aussi était d'oiseau.

Il ne leur manquait que les ailes.

Dommage.

Ils auraient pu quitter un monde qui n'était pas fait pour eux.

Ils se seraient tirés plus vite, à tire-d'aile.

 

Jean-Louis Fournier (Où on va papa)

ecologie

 

 

 

 

 

Publicité
Commentaires
Archives
Publicité
bichaublog
  • L'amour, la philosophie, la sagesse, toutes les injustices et les misères de ce monde, la beauté et les merveilles de notre planète, et son créateur, mais aussi, les faits d'actualités, la politique, les magouilles de ceux qui nous gouvernent.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Visiteurs
Depuis la création 1 560 828
Publicité