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20 janvier 2010

Nul ne devrait se rien promettre de l'avenir. Même ce que l'on tient glisse entre les doigts.

 

plage

Métrodore à la mort d'un neveu moralement distingué, dans la lettre de circonstance dit à la mère, sa soeur :

" Tous les biens des mortels sont mortels. "

Il parle de ces biens après lesquels tout le monde court, car le grand, le vrai bien ne meurt pas; il est sûr, éternel, il s'appelle sagesse et vertu; il est la seule prérogative impérissable départie à qui doit périr.
Au reste, les hommes sont si déréglés, si oublieux du lieu où ils vont, où chacun de leurs jours les pousse, qu'ils s'étonnent de la moindre perte, eux qui doivent tout perdre en un jour. Tous ces biens dont tu t'intitules le possesseur sont chez toi, non à toi...

Chaque jour, chaque heure fait voir à l'homme combien peu de chose il est, et par quelque nouvelle circonstance, significative, lui remémore sa fragilité s'il l'avait oublié. Il nourrissait des projets éternels : le voici contraint de regarder vers la mort. Tu me demandes ce que veut dire pareil préambule ? Cornélius Sénécion, chevalier romain, fort honorable et fort obligeant était connu de toi. Après de modestes débuts, il s'était créé une situation et n'avait plus devant lui qu'une pente aisée pour courir à tous les succès. Déjà Sénécion touchait à l"opulence où le portait deux précieuses aptitudes : il savait acquérir, il savait conserver; et l'une ou l'autre suffisait à le faire riche. Cet homme, d'une simplicité d'habitudes parfaite, et ménageant sa personne tout autant que son avoir m'avait fait visite le matin à sa coutume; il avait passé le reste de la journée jusqu'à la nuit close au chevet d'un ami gravement atteint, condamné; il avait soupé avec entrain, quand soudain une crise d'angine aiguë le serre à la gorge; à peine va-t-il en haletant jusqu'au jour.

Ainsi donc, moins de quelques heures après avoir rempli tous les devoirs d'un homme sain et en pleine vie, il est mort. Lui qui relançait l'argent sur mer et sur terre et qui, voulait exploiter sans exception toutes les sources de profit, le sort l'enlève dans le plein déroulement de ses prospérités, juste à l'instant où l'argent court à lui à plein flots.

Quelle aveuglement que d'arranger sa vie lorsqu'on ne dispose même pas du lendemain.  O Insensés, qui bâtissez des projets pour si longtemps ! J'achèterai, je construirai, je ferai des prêts, des rentrées, j'exercerai des charges. Après cela, las et plein de jours, je m'en retournerai pour vivre dans le repos. Tout, crois-moi, n'est qu'incertitude même pour les heureux. Nul ne devrait se rien promettre de l'avenir. Même ce que l'on tient glisse entre les doigts; jusqu'à l'heure présente que nous croyons bien saisir, un coup de hasard nous la retranche. Le temps se déroule selon des lois fixes, en vérité, mais au milieu des ténèbres; et que m'importe qu'il y ait certitude au regard de la nature, là où il n'y a qu'incertitude pour moi ?

Disposons donc notre âme comme si cette extrême limité était atteinte. Ne remettions rien au futur. Réglons nos comptes avec la vie jour par jour. Le vice principal de la vie, c'est qu'elle n'a jamais rien d'achevé, c'est qu'au jour le jour l'on en renvoie une partie à plus tard. Celui qui a su chaque jour mettre à sa vie la dernière main, n'a plus besoin de temps. Or, de ce besoin naît, avec la peur de l'avenir, cette soif d'avenir qui ronge l'âme...

Si l'on dépend du futur, c'est faute de savoir exploiter le présent. Lorsque j'ai satisfait, au contraire, à tout ce que je me devais; lorsque ma pensée bien assise connaît qu'entre un jour et un siècle il n'y a nulle différence, elle contemple de haut la série entière des jours et des évènements à venir et ne fait que se rire, dans se méditations, de la chaîne des temps. En effet, en quoi des hasards mobiles et variables pourront-ils déconcerter un esprit qui demeure stable en face de l'instabilité ?

Ainsi, donc, mon cher Lucilius, hâte-toi de vivre et compte chaque journée pour une vie distincte. L'homme qui s'est donné cette armature, celui qui a vécu chaque jour sa vie complète, possède la sécurité; mais qui a l'espoir comme raison de vivre, voit le présent lui échapper d'heure en heure.

Sénèque (lettres à Lucilius)

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