Cherche une chose qui ne se détériore pas de jour en jour.
... A l'application au travail doit se joindre, pour que la vertu soit parfaite, une égalité, une continuité, une totale harmonie d'existence : idéal impossible, sans la science et sans la connaissance des choses humaines et des choses divines. C'est là le souverain bien. Si tu le conquiers, tu n'es plus un suppliant; tu deviens un compagnon des dieux.
" Mais comment parvenir si haut ? " demandes-tu... Le chemin est sûr, il est charmant; et la nature t'a muni de ce qu'il te faut. Oui, elle t'a pourvu de ses dons; garde les fidèlement : ils te porteront si haut que tu marcheras de pair avec Dieu.
Mais qu'est-ce qui te fera aller de pair avec Dieu ? Ce n'est pas l'argent : Dieu ne possède rien; ni la prétexte (c'est-à-dire les magistratures, comme celles que Lucilius a exercées) : Dieu est nu. Ce n'est pas la réputation acquise, toute une mise en scène autour de ta personne, la connaissance de ton nom propagée parmi les peuples : nul ne connaît Dieu; beaucoup jugent mal de lui, et impunément. Ne compte pas non plus sur la beauté et la force pour faire de toi un homme heureux : rien de cela ne résiste au temps.
Cherche quelque chose qui ne se détériore pas de jour en jour et à quoi rien ne puisse faire obstacle. Et quelle est cette chose ? C'est l'âme, j'entends une âme droite, bonne et grande. On ne saurait la nommer qu'en disant : c'est un dieu qui s'est fait l'hôte d'un corps mortel. Cette âme peut tomber dans le corps d'un chevalier romain, comme dans le corps d'un affranchi, d'un esclave. Qu'est-ce qu'un chevalier romain, qu'est-ce qu'un affranchi, un esclave ? Des noms issus de l'orgueil ou de l'injustice. Du plus humble logis on peut s'élancer jusqu'au ciel. Debout donc.
" Façonne ton être; rends le, lui aussi, digne de Dieu. " Mais tu ne façonneras pas l'ouvrage dans l'or ou dans l'argent, matière inapte à reproduire en traits ressemblants l'image de la divinité.
... Il n'est qu'un bien, source et condition fondamental du bonheur dans la vie : la confiance en ses propres moyens. Qu'est-ce donc que le bien ? La science. Qu'est-ce que le mal ? L'ignorance. Le philosophe, l'artiste, en sagesses saura, suivant l'occasion, rejeter ou choisir. Toutefois, il ne s'effraie pas de ce qu'il rejette, il ne s'éprend pas de ce qu'il choisit, s'il a l'âme grande et invincible...
Sénèque (lettres à Lucilius)