la faim de découverte : "on les jugeaient dignes de découvrir le monde".
Non, l'école ne leur fournissait pas seulement une évasion à la vie de famille. Dans la classe de monsieur Germain du moins, elle nourrissait en eux une faim plus essentielle encore à l'enfant qu'à l'homme et qui est la faim de découverte. Dans les autres classes, on leur apprenait sans doute beaucoup de choses, mais un peu comme on gave les oies. On leur présentait une nourriture toute faite en les priants de vouloir bien avaler.
Dans la classe de monsieur Germain, pour la première fois ils sentaient qu'ils existaient et qu'ils étaient l'objet de la plus haute considération : on les jugeaient dignes de découvrir le monde. Et même leur maître ne se vouait pas seulement à leur apprendre ce qu'il était payé pour leur enseigner, il les accueillaient avec simplicité dans sa vie personnelle, il la vivait avec eux, leur racontant son enfance et l'histoire d'enfants qu'il avait connu, leur exposait ses points de vue, non point ses idées, car il était par exemple anticlérical comme beaucoup de ses confrères et n'avait jamais en classe un seul mot contre la religion, ni rien contre ce qui pouvait être l'objet d'un choix ou d'une conviction, mais il n'en condamnait qu'avec plus de force ce qui ne souffrait pas de discussions, le vol, la délation, l'indélicatesse, la malpropreté.
Albert Camus (le premier homme)
"En somme, je vais parler de ceux que j'aimais".
publié trente quatre ans après sa mort.