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9 décembre 2009

Il n'y a que le temps qui soit nôtre.

Creek

   Me citeras-tu un homme qui attribue une valeur réelle au temps, qui pèse le prix d'une journée, qui comprenne qu'il meurt un peu chaque jour ? Telle est, en effet, l'erreur : nous ne voyons la mort que devant nous, alors qu'elle est, en grande partie déjà, chose passée. Tout ce que nous laissons derrière nous de notre existence est dévolu à la mort : empare-toi de toutes tes heures. Ainsi tu dépendras moins de demain, pour avoir opéré une mainmise sur le jour présent. Tandis que l'on diffère de vivre, la vie court.

   Tout est, Lucilius, hors de nous; il n'y a que le temps qui soit nôtre. Ce bien fugace, glissant est l'unique possession que nous ait départie la nature. Nous en chasse qui veut. Et telle est la folie de l'engeance mortelle : les cadeaux les plus minces et du plus vil prix, objets tout au moins remplaçables, impliquent une dette à laquelle un chacun souscrit, et nul ne s'estime redevable en quoi que ce soit du temps qu'on lui donne, c'est-à-dire du seul bien que, même la reconnaissance aidant, il lui est impossible de rendre.

Comment conclurons-nous ? Il n'est pas pauvre, à mon avis, celui qui, si peu qu'il lui reste, s'en accommode.

J'appelle sensualité l'attachement aux délicatesses de la vie; j'appelle folie une abstention résolue à l'égard des commodités ordinaires que l'on s'assure sans grands frais. Nous nous tourmentons, nous, et de l'avenir et du passé. Bon nombre de nos biens sont pour nous sources de misères : la mémoire ramène le tourment de la peur; la prévoyance l'anticipe. Ce n'est jamais du présent seul que viennent nos peines...

Lucilius, je sens que je m'améliore; c'est peu dire : une métamorphose s'opère en moi. A la vérité, je ne garantis pas dès maintenant, je ne compte pas que la réforme soit parfaite. J'ai conservé nécessairement bien des tendances qu'il importe de réfréner, de réduire, de fortifier. Et c'est bien ici même la preuve du perfectionnement de l'âme : elle voit ses défauts, qu'elle ne savait pas avoir. On félicite certains malades, lorsqu'ils commencent à prendre conscience de leur mal.

Ah ! Je voudrais te communiquer les effets d'une transformation si soudaine : dès lors j'aurais en notre amitié une confiance mieux assise; ce serait cette amitié véritable que ni l'espoir, ni la crainte, ni l'intérêt personnel ne peuvent rompre, cette amitié qui meurt avec l'homme, pour qui l'homme consent à mourir.

Tu n'imagine pas combien chacune de mes journées m'apporte de profits visibles.

"Envoie-moi, dis-tu, ces bonnes choses dont tu as apprécié l'effet pour ton compte." Eh ! certes je ne demande qu'à faire passer toute ma science en toi. D'une façon générale si j'aime apprendre, c'est pour enseigner; et jamais je ne m'intéresserai à une nouveauté, même à une pensée belle et utile, si je dois être seul à profiter de mon savoir. Suppose que la sagesse me soit donnée, sous réserve de la tenir enclose et de ne pas divulguer ses sentences, je la rejetterais. Tout bien dont la possession n'est point partagée perd sa douceur. Je t'enverrai donc les ouvrages; et pour t'éviter la peine d'aller dénicher çà et là les parties utiles, je mettrai des marques qui te mèneront tout droit aux passages que j'approuve et que j'admire.

Sénèque (lettres à Lucilius)

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