Epitaphe
Arrête-toi un instant, voyageur, je t’en prie,
Et médite mes paroles dans ton cœur,
Afin de connaître par mon exemple ta destinée.
Tes apparences changeront comme les miennes :
Ce que tu es maintenant, connu dans le monde, je l’ai été,
Et ce que je suis maintenant, tu le seras.
Je recherchais avec un vain amour les plaisirs du monde,
Et maintenant je suis cendre et poussière, nourriture des vers.
C’est pourquoi souviens-toi d’avoir plutôt soin de ton âme
Que de ta chair, car, si celle-là demeure, celle-ci périt.
Pourquoi recherches-tu des biens ? Tu vois dans quelle petite cavité
Je repose : il en sera de même pour toi.
Pourquoi désires-tu ardemment vêtir de la pourpre tyrienne ton corps
Que bientôt mangera le vers affamé de poussière ?
De même que périssent les fleurs quand vient le vent menaçant,
De même ta chair, et toute ta gloire périt.
Paie-moi de retour, lecteur, je te prie,
Et réponds à mon poème : « Pardonne Christ à ton serviteur ».
Je le demande instamment : qu’aucune main ne viole les pieux droits de ce tombeau
Jusqu’au jour où, du haut du ciel, la trompette des anges fera résonner ces mots :
Toi qui gis dans ce tombeau, surgis de la poussière de la terre.
Le grand juge se présente à d’innombrables milliers d’hommes.
Mon nom était Alcuin et j’ai toujours aimé la sagesse.
Prie dans ton cœur pour moi en lisant cette inscription :
Ici repose le seigneur Abbé Alcuin, de bienheureuse mémoire,
qui mourut en paix le 14 des calendes de juin. Quand vous
lirez cela, vous tous, priez pour lui et demandez que le
Seigneur lui donne le repos éternel. Amen !
ALCUIN ou Albinus Flaccus
(vers 735 - 804)